Trois essais visuels par Pierre Bal-Blanc

Trois essais visuels par Pierre Bal-Blanc

Trois essais visuels par Pierre Bal-Blanc

Le Centre d’Art Contemporain Genève présente les trois derniers essais visuels de Pierre Bal-Blanc créés sous le label Jeff Wall Production*. L’auteur est récemment revenu à une pratique d’essais visuels vidéographique enrichie par ses expériences de commissariat d’exposition et son implication dans le champ de la performance exposé. L’élaboration de ces projets répond avant tout à la nécessité d’agir de manière critique dans la sphère artistique avec des outils légers dont l’impact visuel et conceptuel est important malgré les moyens modestes engagés.».

Ces essais visuels ne diffèrent pas de la mise en place d’une exposition collective, ils reprennent des principes du commissariat en les appliquant à celui de l’image animé avec le souci de s’adresser au large spectre des terminaux qui peuplent notre environnement quotidien. Parfois en assumant la fluidité du format du plus petit terminal (smartphone) au plus grand (écran) et pour certain film en requalifiant le rituel de la salle de cinéma en proscrivant tout autre forme de diffusion.

La production de ces films attaque les logiques culturelles des crédits, de la propriété et de l’autorité des contenus en interrogeant leur validité. Ces essais visuels sont les échos d’une écoute active, le mouvement d’une lecture qui prolonge les faisceaux d’images reçues en pleine face, qui se ressaisi des affectes éprouvées, qui fait usage du savoir, en quelque sorte qui reprend le pouvoir. Proche des productions de Moyra Davey ou Terre Thaemlitz, ces vidéographies sont aussi issues des recherches menées sur les corpus d’œuvres d’artistes et cinéastes inclassables comme Friedl Kubelka vom Gröller ou Tomislav Gotovac.

 

Pierre Bal-Blanc
Olympia Between
2022
Vidéo / sonore / couleur/ 14 min10

Le film Olympia Between traite de la soumission volontaire de l’individu au mode du capitalisme tardif et de sa condition de « monnaie vivante » réalisée par la technologie numérique. L’économie de cette œuvre vidéographique a la particularité de reposer sur la culture de l’appropriation des images et des signes qui s’est développée dans l’art contemporain sous un nouveau mode critique à partir des années 1980 et dont l’artiste britannique Victor Burgin représente l’un des précurseurs.

Son œuvre Olympia de 1982 créée à partir de la peinture d’Edouard Manet qui la précède d’un siècle dans son principe (la peinture est elle-même basée sur une appropriation de la Vénus d’Urbin du Titien) réactualise le fonctionnement des pulsions scopiques entre le regardeur l’artiste et les modèles du tableau en interrogeant leurs racines raciales, patriarcales et hétéronormées.

La suite de photographies de Burgin sous titrées de textes associe également la référence à l’opérette les comtes d’Hoffman de Jacques Offenbach où la femme à l’acte 1 d’Olympia est réduite à l’état d’objet mécanique et niée en tant que sujet.

En retournant le principe d’appropriation contre l’un de ses initiateurs cet essai visuel assume clairement de perpétuer un acte de prédation, mais il resitue cette dégradation sur le corps de jeune hommes homosexuels qui vendent leurs charmes sur des réseaux sociaux à caractère érotique.

Il parachève ainsi la « queerisation » (déjà à l’œuvre chez Burgin ou même Manet, mais qui restait latente) à la fois du montage de l’œuvre elle-même et de l’identité des sujets concernés par le film. Dans le capitalisme avancé il n’y a plus de différence des sexes. Il n’y a qu’une ressource infinie de sexe à soumettre à des régimes d’images et d’échanges différents.

Crédits
Jeff Wall production et Pierre Bal-Blanc. Courtesy Hot Wheels Athens

 

Pierre Bal-Blanc
Hermès dernières phrases
2022
Vidéo / sonore / couleur/ 6 min 14

Hermès dernière phrases se déroule à partir de la mise en boucle d’une séquence du film de Yves Allégret Manège de 1949 avec Bernard Blier, Simone Signoret et Jane Marken. Le film s’appuie sur le mouvement circulaire des séances de dressage auquel le titre original Manège fait allusion en donnant la forme d’un montage concentrique à cet essai visuel. C’est pourtant à une scène d’intérieure, un boudoir féminin, impliquant les symboles de la conduite et du domptage équestre, cravache, étriers, harnachement, façonnés par le plus célèbre Sellier Français que ce concentre l’attention du montage. Il souligne ainsi l’intrusion violente du pouvoir de l’argent dans l’univers intime du personnage principal, une demi-mondaine (courtisane), incarné par Simone Signoret. La répétition visuelle est rythmée par les dernières phrases de l’essai sur le mécénat à l’époque hellénistique et romaine de Paul Veyne Le Pain et le cirque qui démontre que le don des riches à la collectivité était un sacrifice et non une forme détournée de contrôle, de profit ou de publicité.

La politique, comme l’amour, est relation interne des consciences : un maitre n’est pas une chose, un aliud, c’est un homme comme moi, un alter ego, et ce qu’il pense de moi me touche dans l’idée que j’ai de moi-même. D’où des exigences qu’il est verbal d’appeler « symboliques » (elles ne symbolisent rien, elles existent pour elles-mêmes) et qu’il serait naïf de dédaigner comme par trop platoniques. Nous retrouvons les trois enjeux de la politique : Qui commande ? Qu’est-ce qu’il commande ? Sur quel ton commande-t-il ?

(Paul Veyne. Le Pain et le cirque. Du Seuil 1976, dernières phrases. P692)

La séquence s’achève sur les résultats stupéfiants, en période de pandémie de crise climatique d’invasion de l’Ukraine par la Russie et du pic de l’élevage animal intensif, du groupe de luxe spécialisé dans la maroquinerie dont le slogan est pour son mécénat culturel « Nos gestes nous créent ».

Crédits
Jeff Wall production et Pierre Bal-Blanc. Courtesy Hot Wheels Athens

 

Pierre Bal-Blanc
Journey to ‘Post-fascist’ Italy
2022
Vidéo/ Sonore/Couleur/ 5’8’’

Le film Voyage en Italie de Roberto Rosselini est la pierre angulaire de la post-modernité au cinéma, le film ouvre la voie à une esthétique de la réception, déterminée par la culture et les événements sociaux qui remplace pour l’auteur une position démiurgique de créateur d’histoire originale. La visite du musée dont la conclusion peut se traduire par le constat émis à haute voix par le personnage incarnée par Ingrid Bergman « all men are alike » est un regard féminin (female gaze) posé sur l’institution disciplinaire du musée. C’est une « archéologie du savoir » mise en pratique lors de la confrontation aux ressources mémorielles et historiques de la galerie archéologique, par une femme qui se sent exclut de ce discours.

Le film Journey to ‘Post-fascist’ Italy traduit par le retournement concret de l’image celui du regard porter sur les protagonistes du film aujourd’hui à travers le prisme du débat sur les genres qui anime les sociétés. Ce retournement est aussi une perte de gravité qui est soulignée par le reflet des mains tenant le smart phone utilisé pour enregistrer la séquence sur l’écran du moniteur. Il vient rappeler les coordonnées de l’espace de réception dans lequel se situe cette séquence et qui se distingue de l’espace et du temps de sa production.

La pyramide hiérarchique du pouvoir de la société patriarcale est renversée mais les yeux subsistent au centre comme si ce basculement n’affectait pas le rapport au pouvoir qui transcende les genres. La centralité de l’image annule la gravité. La sculpture en trois dimensions autour de laquelle on est invité à tourner dans le film est revisitée sous un nouvel angle cinématographique inversé, ce stratagème restitue un relief soudain à l’image en deux dimensions.

Ce basculement s’inverse lors de la dernière séquence en redonnant au buste télévisuel de la cheffe ‘Post fascist’ du gouvernement italien Georgia Meloni l’assise des empereurs du musée archéologique de Naples. Le féminisme est ici présenté sous son angle cosmétique. Georgia Meloni féminise les signes du pouvoir, elle y ajoute les trophées (boucle d’oreille en diamant) et les oripeaux de la classe supérieure (robe couture), elle multiplie les émissions de stéréotypes en se frottant les mains pendant qu’elle annonce des mesures iniques pour les plus vulnérables.

Crédits
Jeff Wall production et Pierre Bal-Blanc. Courtesy Hot Wheels Athens

 

* Jeff Wall Production est le nom de la maison de production initié par Pierre Bal-Blanc qui reprend le titre de son premier projet consacré à l’artiste du même nom en 1988. Le sujet de ce projet séminal est devenu depuis cette date la marque de fabrique des projets suivants. Pierre Bal-Blanc est un commissaire indépendant et essayiste basé à Athènes et Paris. Né dans un milieu ouvrier à Ugine en Savoie en France son destin change à 17 ans à la suite de la rencontre avec le documentariste Néerlandais Johan van der Keuken (1938-2001) avec qui il co-réalise Le Résistant (1983) un court métrage collectif à Annecy (Fr) coordonné par Thierry Nouel. Il réalise la vidéo « Contrat de travail » en 1992 en rapport à son expérience de performer pour le compte de l’artiste Felix Gonzalez Torres. Il publie de nombreux textes et collabore sur la production de films et d’expositions avec de nombreux artistes tel que David Lamelas, Pierre Huyghe, Rainer Oldendorf, Marie Voignier, Clemens von Wedemeyer, Markus Schinwald, Beatrice Gibson, Rosalind Nashhashibi, Artur Zmijewski, Terre Thaemlitz, Marie Cool Fabio Balducci qu’il contribue à faire connaitre en France pendant sa direction artistique du CAC Brétigny (2003-2014) et à l’étranger lors de commissariat pour des biennales ( 9ème Lyon, 6ème Berlin, documenta 14 Cassel Athènes…).