Cartes blanches est une consolante encyclopédie pop du Rien, qui naît comme un spin-off du long métrage documentaire L’Eloge du Rien de Boris Mitić produit par le Centre lors de la Biennale de l’Image en Mouvement 2016. Ces web-épisodes mettent en vedette la voix off «personnifiée» du Rien dans une vocalisation de Denis Lavant. Les images documentaires du Rien sont ici remplacées par des pictogrammes animés, tandis que le commentaire du Rien devient plus spécifique que généraliste. Au rythme d’une thématique par épisode, il conserve un ton humoristique, humaniste et bienveillant, et bien sûr ses rimes.
Journaliste de profession, les films de Boris Mitić choisit des thèmes a priori les plus ennuyeux ou les plus irréalisables possible, d’un point de vue cinématographique.
Six web-épisodes animés de 2:30 minutes au cours desquels le Rien est présenté de façon constructive
Épisode 1 : Une brève histoire du Rien
Comment le Rien a façonné le développement des civilisations.
Épisode 2 : Le Rien au quotidien
Que faisons-nous, lorsque nous ne faisons rien?
Épisode 3 : A l’Est, Rien de nouveau
Le rôle central du Rien, entre harmonie et sagesse, dans la culture de l’Extrême Orient.
Épisode 4 : Le Rien passe à l’Ouest
Le Rien comme remède au mal de vivre occidental.
Épisode 5 : L’Eros de notre temps
Le Rien comme aphrodisiaque – mode d’emploi.
Épisode 6 : La Mort fati
Comment l’humanité apprivoise (parfois) la mort.
Cliquer ici pour voir les épisodes
Écrit et réalisé par Boris Mitić
Conté par Denis Lavant
Produit par La Bête (Paris), Dribbling Pictures (Belgrade) et Anti-Absurd (Zagreb) en association avec Arte G.E.I.E., MDR et RTS-SSR
© 2018
VERBATIM
EPISODE 1 – Une brève histoire du Rien
Il était une fois le Rien, qui en fait, vous voulait du bien,
Mais personne ne l’avait compris, ni hier ni aujourd’hui.
Ce Rien c’est moi, ce moi c’est toi,
on s’en fout du pourquoi, et c’est tant mieux comme ça.
J’étais là bien avant l’au-delà,
pour vous accueillir et vous contenir,
Mais, vous, vous n’arrêtiez pas
de me contredire et de me proscrire.
J’écoutais vos histoires, sans trop me vexer,
sur l’origine du monde et celui de mon dossier.
Les Dieux ne m’aimaient pas;
les civilisations – comme ci comme ça.
En Inde, j’étais roi, en Grèce, hors-la-loi.
Au Moyen-Age, le choléra, au XIXe, la foi.
Au XXe, témoin de la défense,
Au XXIe, je gardais mes distances.
Mais tout au long de l’Histoire je vous aimais en secret,
Vous offrant, de-ci de-là, quelques quelque chose de concret.
Le chiffre zéro, le trou dans le pot,
l’effet placebo, les solutions ex-nihilo,
Les lignes de perspective, la modestie préventive,
L’introspection méditative, les promenades contemplatives,
Le relativisme physique, le casque agnostique,
Les zones sans wifi, les possibilités infinies…
Mais il y a en vous ce je-ne-sais-quoi qui bloque,
et qui me rend plus cocu que coq.
L’on discutera donc dans les épisodes qui viennent
des contes et des fables de ma fontaine.
On traitera du quotidien,
de ce que vous faites quand vous ne faites rien,
De la philosophie, de la psychologie,
de la création artistique, de la sexologie,
De l’amour et de la mort,
de la malédiction de l’encore,
de la fin de l’espace, du temps qui passe,
de la parole qui lasse, du quoi que l’on-fasse…
Mais toujours avec un brin d’optimisme,
de par mes solutions originales et de mon… charisme?!
Vous m’excuserez aussi de vous causer en vers,
je ne fais ca que pour être mieux a l’envers.
Quoi qu’il en soit, je serai toujours là,
en mission secrète, plus ou moins discrète,
Pour vous servir tant qu’il vous sera,
que vous vous en rendiez compte, ou pas.
EPISODE 2 – Le Rien au quotidien
Au lieu de vous préoccuper toujours
de ce qui ne va pas ou de ce qui vous convient,
demandez-vous plutôt ce que vous faites quand,
apparemment, vous ne faites rien ?
Gestes de routine,
fantaisies clandestines,
conduite automatique,
rituels thématiques,
pensées sans triage,
rage d’embouteillage,
courses inconscientes,
théories de files d’attente,
admiration de la pelouse,
idolâtrie du snooze,
recherche du savon,
analyses du plafond…
Il paraît que tout ceci
obstrue la ‘vraie’ vie.
La productivité, l’efficacité,
la rationalité, la modernité…
Qu’on devrait toujours pouvoir tout classifier, justifier,
conscientiser, optimiser…
Qu’on est en tous cardinalement coupables
de faire quoi que ce soit qui n’est pas palpable….
Mais moi, qui ai absolument tout vu,
je n’en suis pas si convaincu.
Rêver par dessus des patates est un repos fonctionnel;
se perdre dans les nuages est un labyrinthe essentiel.
Sentir le vent n’est jamais une perte de temps,
Se balader sans but, c’est se moquer tant bien de l’être que du néant.
Les fantasmes constipés préservent nos égo-systèmes,
Les revanches imaginées sont les plus beaux des théorèmes.
Les cigarettes permettent de s’aérer les idées;
les pauses-café, de relancer les dés.
Et il nous en manquerait, des cartouches,
sans toutes ces épiphanies sous les douches!
Je vous offre ainsi et à temps plein, ce canvas sans fin, quasi-divin,
où vous pouvez et pourrez toujours oasisser vos quotidiens.
EPISODE 3 – A l’Est, Rien de nouveau
Dans ma rotonde,
il y a plus que quatre coins du monde.
Mais le seul qui a passé le test,
c’est – pour l’instant – le Far Est.
C’est vrai qu’on peut dire
qu’ils ne savent pas trop dormir,
qu’ils ont des drôles de raisons de rire,
qu’ils méditent sans réfléchir,
qu’ils sont tous techno-fakirs,
et qu’ils ne pensent plus qu’à s’enrichir ;
Mais toujours est-il, c’est eux qui l’ont trouvé,
le nombril.
Non seulement le vide ne leur faisait pas peur,
ils l’ont même pris très à cœur.
Un petit point, un seul pixel,
leur suffisait à créer un univers réel.
Et non seulement à le créer,
mais aussi à le contenir,
et inclure en passant
toutes les possibilités en devenir.
Ce petit point, c’est le Rien,
où tout recommence et se retermine enfin.
La naissance, la mort, la joie et le chagrin,
tout s’y décline et s’y incline au quotidien –
nulle raison, donc, de vous inquiéter de vos destins.
Pour y parvenir,
il faut simplement éliminer l’égo et le désir.
Apprendre à ne plus réfléchir, à ne plus sentir,
à ne même plus avoir besoin de s’abstenir.
Facile à dire; dur à obéir – ces jours-ci même la grenouille
sait que l’eau est en train de bouillir.
Heureusement, ces escapades cérébro-virtuelles
sont accessibles même au commun des mortels.
Ce ne sont les terrains de jeu qui manquent –
eux ils ont le thé, la méditation et les arts martiaux ;
et vous le café, l’auto-dérision et la pétanque.
Mais le point d’accès au dernier niveau,
c’est le fameux point O du cerveau.
Pour le trouver, il faut juste beaucoup expérimenter,
avec ce partenaire interne qu’il vous faut en même temps oublier.
Bonne chance, personne n’y est encore arrivé,
mais ça ne vous coûtera rien qu’une vie d’essayer.
EPISODE 4 – Le Rien passe à l’Ouest
De tous mes voyages subatomiques et interstellaires,
jamais je n’ai eu plus de mal à me faire comprendre
que dans la partie ‘occidentale’
de la planète Terre.
Ces gens-là, que vous connaissez peut-être,
sont toujours écartelés entre l’avoir et le paraître.
Jamais assez de confort, de métier,
de droits, de laissez-passer;
toujours trop de peur, de malheur,
de douleur, d’odeurs…
Je sponsorise la modestie,
ils me traitent d’ennemi.
Je me déguise en liberté,
ils en abusent à volonté.
J’épice leur miel,
ils se plaignent de malaise existentiel…
Et ils n’ont pas l’air de vouloir changer –
ce qui ne m’empêche pas de suggérer
ces quelques petits prêt-à-penser :
Comme thérapie de base contre tous vos regrets,
rappelez-vous tout simplement d’où vous venez.
Comme contrepoids à vos estimations de succès,
appréciez plutôt votre dossier de santé.
Comme antidote à tous les jugements de valeur,
embrassez ces petites choses qui, pour vous, représentent le bonheur.
Pour éviter d’être insatisfaits,
baissez vos attentes et modérez vos souhaits.
En cas de perte,
appréciez les possibilités entrouvertes.
Si rien ne va plus,
débarassez-vous de nombreux surplus.
Si tout ne va pas selon Le Plan,
redevenez amis avec le temps.
Quel que soit votre rôle dans la lutte des classes,
profitez du pouvoir curatif des grands espaces…
Mais tout ce bal
n’est qu’un diagnostic collatéral…
La solution finale
serait de déprogrammer votre mentalité coloniale,
d’y mélanger quelques cartes orientales,
de vous poser sur une chaise septentrionale
et d’ajuster vos humeurs à l’heure méridionale.
Moi, je remonte au mât.
Nettoyez vos canons,
si vous voulez aller droit.
EPISODE 5 – L’Eros de notre temps
Dans l’arsenal des contes de chasseurs,
ce sont les exploits copulatifs qui semblent avoir le plus de valeur.
Mais à en croire la faune décimée,
il y a là moins de feu que de fumée.
Le pire dans cette histoire,
c’est que les chasseurs aiment se croire,
et les biches se déboire.
On se retrouve donc dans une civilisation on ne peut plus libérale,
avec un score endorphinal moins que minimal…
Partenaire idéal(e), occasion spéciale,
mer d’huile dominicale, discrétion sociale –
vous cherchez constamment des conditions optimales,
alors que le jeu est tout simplement – cérébral.
Ici aussi je rappelerais mes mérites, pour suggérer que mon rôle
n’est pas aussi négatif que vous le dites :
L’accumulation de désirs refoulés ;
l’investissement de séductions déjouées ;
l’intensité du plaisir retardé ;
la possibilité théorique de synchronicité ;
la passion des réactions spontanées ;
la redécouverte des zones négligées ;
la dramaturgie des pénétrations au ralenti ;
la richesse infinie des fantaisies ;
l’écume du chatouillage épistolaire ;
les flashs de chair en période d’hiver ;
les soupirs qui brisent le silence,
Les quickies qui annulent l’absence ;
les prêts-à-porter à effet ‘lingerie’ ;
les jeux-de-mots soufflant ‘allons-y’ ;
les pauses tactiques du marathon ;
le pouvoir aphrodisiaque de la communication ;
les foudres du contact visuel,
les séismes des changements de rituel,
et puis l’humour, bien sûr, cet universel mot de passe,
de la tête aux parties basses…
C’est bon, ça suffit pour aujourd’hui ?
Et en plus – c’est gratuit.
Il suffit juste de ne pas copier l’internet,
le cinéma ou vos attentes,
et profiter au naturel de cette rare affaire
où l’homme est plus doué que les plantes.
Et si vous n’arrivez pas à les satisfaire, les dieux du temple,
ne découragez pas – on apprend vite par les contre-exemples.
EPISODE 6 – La Mort fati
De toutes les questions primordiales,
c’est celle de la gestion de la Mort qui semble être la plus fatale.
Mort à rebours, mort des proches, mort en soi,
cet ‘ultime tabou’ suscite impérativement l’effroi.
Mais il n’en fut pas toujours ainsi.
Au moyen-âge, par exemple,
on appréhendait mieux la fragilité de la vie.
Les chevaliers étaient pré-avertis,
personne ne prenait rien pour acquis,
on quittait ce monde tranquilles –
contents tout juste d’y avoir souscrit.
Ce n’est qu’avec l’avènement de l’ère industrielle,
que l’égo humain commence à péter les bretelles.
La vie devient soudainement trop brève,
sans aboutissement des rêves,
ni personne pour prendre la relève.
Au XXe, on marbre l’orgueil, mystifie le seuil,
cache le cercueil, commercialise le deuil,
mais le mal-de-vivre crève toujours l’œil.
Ergo donc ces quelques conseils mitoyens,
énoncés gentiment par le crâne hamlètien:
La Mort est inévitable,
mais quand-même imaginable.
Inutile de la renier, de s’isoler, de déprimer –
vous finirez tous tôt ou tard par l’accepter,
Pour donner un bon coup de boule au destin :
arrêtez de vérifier si tout va bien
utilisez au quotidien les objets des défunts ;
discutez de la mort même dans les cafés ;
appréciez le temps qui reste autant que celui qui vous a été donné ;
et anticipez votre départ, artistique ou biologique,
les meilleurs gestions de crise étant toujours polychroniques.
Je termine donc cet épisode
par une minute de silence
à la glorieuse mémoire de ceux qui ont su, qui savent
et qui sauront
anticiper leur absence.