LISTEN TO THE HOUSE

LISTEN TO THE HOUSE
Agnès Gayraud

Carte blanche pour la Radio du 5e étage

ÉCOUTER LA MAISON
Une écho-hantologie de la Villa Gillet

Février-mars 2021

Un projet sonore d’Agnès Gayraud (musicienne, philosophe)

En collaboration avec Lise Lebleux (artiste sonore, ENSBA, Lyon), François Virot (musicien), Clara Lemercier (vidéaste, photographe, ENSBA, Lyon) and Marguerite Martin (violoniste).

Avec son architecture du début du XXe siècle, perchée sur les hauteurs de Lyon, au milieu du parc de la Cerisaie, la Villa Gillet aurait presque des allures gothiques. Fenêtres hautes, pierre de taille, corniches ornées et terrasses scénographiques, l’édifice s’étend comme un vestige d’un autre monde, tandis qu’autour de lui résonnent les cris des enfants qui viennent chaque jour peupler le parc.

La Villa a été construite en 1912, elle disposait de l’électricité dans chaque pièce, de salles de bains fonctionnelles, d’une « salle de spectacles », que l’on peut visiter aujourd’hui avec un étrange sentiment de mélancolie, de désuétude de la modernité.

À la fin des années 90, elle est devenue un lieu culturel. Après avoir été la demeure de Marguerite et Paul Gillet, appartenant à une importante famille d’industriels du bassin lyonnais, elle s’est peuplée de livres, d’événements, de paroles d’écrivains, d’intellectuels, de générations de visiteurs curieux, venus goûter ici un moment de littérature, de théâtre, de musique, de poésie. Mais en 2020, année d’une pandémie mondiale obligeant les corps à se tenir éloignés les uns des autres, la Villa, comme tous les lieux de culture, de musique, de partage, était plutôt peuplée de silence. Les mots incarnés des écrivains, les pas des visiteurs, ne pouvaient plus y résonner. En regardant la Villa, de l’extérieur, si opulente mais si vide, je me suis mis à penser à ses salons et à ses salles désertes, et à leur résonance, à ses boiseries, à ses miroirs, à ses mosaïques – autant de matériaux acoustiques typiques, qui, je l’ai compris, avaient aussi « absorbé » et gardé un peu de tous les sons, de toutes les présences du passé.

J’ai commencé à imaginer une image sonore de l’intérieur de la maison, à écouter les échos qu’elle réverbère encore.

De Paul Gillet et de sa femme Marguerite, hôtes originaux qui ont vécu là pendant cinq décennies, nous savons très peu de choses. Il ne reste aucune photo, aucun manuscrit, juste un grand portrait peint de monsieur Gillet dans l’un des salons. Paul et Marguerite aimaient les arts, la musique, les fêtes, ils n’ont pas eu d’enfants. Au fur et à mesure que le vide s’installe, ces vies lointaines deviennent des fantômes en écho qui hantent les pièces.

Sur le plan sonore, nos enregistrements ne pouvaient qu’impliquer une dimension hantologique, dès lors que l’hantologie retient l’affinité entre l’enregistrement et l’occulte, non pas bien sûr pour s’amuser à retourner la situation, mais pour mettre en valeur le son caché, littéralement, pour écouter l’inouï.

Dans les différentes pièces de la Villa (elle en compte 57), et avec l’aide de Lise, François, Marguerite et Clara, j’ai travaillé sur place à la création d’une image sonore de la Villa Gillet qui, en l’absence momentanée de ses visiteurs, nous ferait entendre ses échos intérieurs, le chant de ses murs ornés, de son ancienne opulence.

J’ai essayé d’expérimenter nos présences, en tant que musiciens, mais aussi en tant qu’auditeurs actifs de la maison. Nous étions là pour activer ses échos inaudibles, pour leur donner une voix, à travers une pièce sonore et musicale.

 

Agnès GAYRAUD (née en 1979) vit et enseigne à Lyon en tant que professeur de théorie et d’éducation artistique à l’ENSBA. Elle est auteur-compositeur, guitariste et chanteuse sous le nom de La Féline (trois albums et plusieurs EP sortis chez Kwaidan Records depuis 2015), mais aussi de GRIVE (un EP récemment sorti, en collaboration avec l’artiste électronique Mondkopf, Paul Régimbeau). Agrégée et docteur en philosophie, elle est également l’auteur d’une somme philosophique sur l’esthétique de la musique populaire enregistrée, Dialectique de la pop (La Découverte, 2018), récemment traduite (Dialectique de la pop, Urbanomic, 2019) et de divers articles scientifiques sur la musique, la Théorie critique ou les arts visuels. Elle est aussi occasionnellement critique musicale pour le journal Libération.